Un dossier d’amour, coincé entre deux tampons administratifs, et c’est tout un pan de la société japonaise qui se heurte à une porte close. Un couple de femmes s’avance à la mairie de Tokyo, espère, expose sa vie privée, repart les mains vides, sourire crispé. Ici, pas de case à cocher pour les unions hors des sentiers battus. Et pendant que Taïwan célèbre les mariages arc-en-ciel à grand renfort de photos et de confettis, le Japon campe sur sa réserve. Dernier géant du G7 à refuser le mariage entre personnes du même sexe, l’archipel cultive une singularité qui fait grincer autant qu’elle intrigue. Entre traditions millénaires et soif de changement, le débat sur l’égalité des droits s’impose partout : du zinc des cafés branchés aux dorures de la Diète, la société japonaise s’interroge, s’agite, se cherche.
Plan de l'article
Où en est la législation sur le mariage pour tous au Japon ?
Sur le papier, le mariage pour tous reste une chimère au Japon. L’archipel, seul parmi les puissances du G7, campe sur une lecture stricte de sa Constitution. L’article 24, qui évoque le consentement « des deux sexes », sert de bouclier au parti libéral-démocrate (PLD) pour s’opposer à toute ouverture. Selon le Premier ministre Fumio Kishida, rien ne presse : l’absence de texte spécifique ne contreviendrait pas à la Constitution.
A lire également : Les dernières tendances de décoration pour les mariages qui épateront vos invités
Pourtant, dans les prétoires, les lignes commencent à bouger. Les juges se saisissent du sujet, et les décisions s’accumulent :
- Le tribunal de Sapporo a fendu l’armure : refuser le mariage homosexuel, c’est bafouer la Constitution.
- À Tokyo, la justice pointe une « suspicion d’inconstitutionnalité ».
- Du côté de Nagoya et Fukuoka, les magistrats relèvent que les couples de même sexe restent exclus des droits matrimoniaux.
- Seul le tribunal d’Osaka botte en touche : selon lui, la balle est dans le camp des politiques.
Mais la cour suprême du Japon n’a, pour l’instant, pas rendu de décision décisive. L’article 14, censé garantir l’égalité devant la loi, reste lettre morte pour les couples LGBT+. La députée Kanako Otsuji, elle, martèle qu’il est temps de franchir le Rubicon et de légiférer. Pourtant, la politique piétine, coincée entre réticences et revendications.
A lire également : Mariage interculturel : définition, enjeux et conseils pour réussir
Regards croisés : société japonaise et diversité des opinions
Le mariage pour tous avance à petits pas, porté par une société japonaise en pleine mutation. Les sondages sont formels : la majorité des Japonais, surtout chez les jeunes urbains, souhaitent voir les couples de même sexe accéder au mariage. Ce souffle nouveau se heurte toutefois à un mur : les groupes conservateurs, arc-boutés sur une conception traditionnelle de la famille, font de la résistance.
Dans l’espace public, la parole se libère. Témoignages sur les plateaux télé, campagnes sur les réseaux sociaux, députés comme Kanako Otsuji qui montent au créneau : le débat n’a jamais été aussi visible. Pourtant, la mosaïque des opinions reste éclatée :
- Dans les campagnes, une part de la population continue de voir le mariage comme une affaire exclusivement hétérosexuelle.
- Les grandes entreprises, elles, s’inquiètent de l’image du Japon sur la scène internationale et commencent à pousser pour des politiques RH plus inclusives, non sans prudence.
Au-delà de la question légale, c’est toute la reconnaissance sociale des familles LGBT+ qui est en jeu. Invisibles hier, elles revendiquent aujourd’hui leur place. Si les résistances persistent, le Japon semble lancé dans une dynamique de débats et de remises en question qui, lentement, redessinent le paysage de l’égalité.
Quels obstacles juridiques et culturels freinent l’égalité matrimoniale ?
Sur le terrain, la reconnaissance légale pour les couples de même sexe demeure incomplète. Plusieurs municipalités – Koganei, Fuchu, Kawagoe – délivrent désormais des certificats de partenariat. Ces documents offrent une reconnaissance symbolique, parfois des aménagements locaux, mais rien de comparable aux droits liés au mariage : fiscalité, protection sociale, parentalité et transmission du patrimoine restent hors d’atteinte. Les couples binationaux, notamment, se heurtent à une double barrière : celle du droit nippon, et celle du statut d’étranger.
À l’échelle nationale, la loi sur la promotion de la compréhension des minorités LGBT se limite à une déclaration d’intention. Ken Suzuki, avocat et militant, dénonce une avancée en trompe-l’œil, sans portée concrète. Les associations telles que Marriage for All Japan ou Rainbow Saitama poursuivent leur combat devant les tribunaux, accumulant les recours pour faire bouger les lignes.
La société, elle, reste traversée par ses propres résistances. Famille traditionnelle, codes de genre omniprésents, rareté des modèles LGBT+ dans l’espace public : tout concourt à freiner l’acceptation de la diversité. Au travail, la discrimination mine encore trop souvent les carrières et l’épanouissement des personnes concernées.
- Le certificat de partenariat n’ouvre ni droit à l’adoption, ni véritable protection juridique.
- Les droits sociaux et familiaux restent hors de portée pour les couples LGBT+.
- Le combat s’incarne dans quelques figures et associations, qui engrangent des victoires locales mais attendent toujours un signal fort des instances nationales.
Vers une évolution des droits LGBT+ : signaux faibles et perspectives d’avenir
Au sein du G7, le Japon se distingue par son refus d’ouvrir le mariage homosexuel. Cette exception n’échappe ni à ses partenaires ni à l’opinion internationale. Les États-Unis, par la voix de l’ambassadeur Rahm Emanuel, appellent ouvertement à une évolution législative. L’OCDE relègue le Japon au bas de l’échelle – 34e sur 35 – pour la protection des personnes LGBT+. De l’autre côté du détroit, Taïwan a tranché le débat dès 2019, ouvrant la voie à toute l’Asie.
En Europe, la pression s’accentue. L’Union européenne incite ses membres, comme la Pologne, à reconnaître les unions civiles. Récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné Varsovie, rappelant que l’absence de reconnaissance des couples de même sexe contrevient aux droits fondamentaux. Pour les militants japonais, ce précédent européen sert de base juridique et de source d’espoir.
Et sur l’archipel, la société ne reste pas immobile. Les derniers sondages confirment une adhésion majoritaire à l’idée du mariage pour tous. La mobilisation locale, l’engagement de personnalités politiques, la multiplication des recours judiciaires : autant d’indices d’un basculement en cours.
- Le Japon observe de près l’exemple taïwanais, véritable laboratoire régional.
- La pression internationale gagne en intensité, portée par les alliés occidentaux.
- Les tribunaux multiplient les décisions favorables, en attendant un verdict national qui mettrait fin à l’ambiguïté.
Reste à savoir si le vent du changement saura franchir les murailles du conservatisme nippon. Car, derrière chaque dossier refusé à la mairie, c’est la promesse d’une société plus juste qui attend sa chance, quelque part entre tradition et modernité.